Orban sanctionné par l’Union européenne : un vote majeur
« Demain aura lieu un vote décisif au Parlement européen : le déclenchement ou non d’une procédure concernant le respect de l’État de droit en Hongrie. Demain l’Europe sera confrontée à un choix simple : lutter ou se renier. Nous avons choisi », affirmait très directement Christophe Castaner mardi 11 septembre, veille d’un vote décisif au Parlement européen relatif à l’état de droit en Hongrie.
Le cinquième homme de la République, cumulant les fonctions de Délégué général de La République En Marche et de secrétaire d’Etat auprès du Premier ministre Edouard Philippe en charge des relations avec le Parlement, s’est donc mué en donneur de leçons en pré-campagne des élections européennes de mai 2019.
Il est aussi amusant que triste et révélateur que des personnages éminents de notre gouvernement s’emportent ainsi contre la Hongrie de Viktor Orban, régulièrement réélu avec des scores très confortables, plébiscité et conforté par son peuple lors du référendum contre le plan de l’Union européenne sur l’accueil des réfugiés en octobre 2016, quand, dans le même temps, Richard Ferrand est devenu Président de l’Assemblée nationale en remplacement de François de Rugy, alors que ses ennuis judiciaires le rendaient indigne de la fonction de ministre il y a un peu plus d’un an. Au fond, que reproche-t-on à la nation magyare, l’une des rares utilisant un idiome finno-ougrien en Europe ? De ne pas respecter l’état de droit ? Ou, plus prosaïquement, de mener la révolte contre l’Europe multiculturelle irénique, contre le totalitarisme mou de l’Union européenne, ce règne absurde du conformisme et du politiquement correct, genre d’ONU au rabais semblable à un camp de la mort de la tolérance gigantesque, pour faire référence au dessin animé South Park ?
Ce mercredi 12 septembre avait donc lieu à Strasbourg un vote du Parlement européen qui a déclenché une procédure visant à faire « respecter l’Etat de droit en Hongrie », comme le permet l’article 7 des traités de l’Union européenne utilisable en cas de « risque clair de violation grave ». Résultat ? La Hongrie a été sanctionnée à la majorité des deux tiers d’extrême justesse, par 468 voix pour (il en fallait 462) contre 197 réfractaires et 48 abstentionnistes. Si le PPE n’avait pas donné de consigne de vote, de nombreux élus du grand parti européen de droit ont voté pour la sanction d’un membre de leur groupe. Il faut dire que l’Allemand Manfred Weber, président allemand du PPE, déclarait juste avant le vote que son groupe « (avait) toujours soutenu l’action du Parlement européen pour suivre la situation en Hongrie » et que « sans volonté du gouvernement hongrois d’entamer un vrai dialogue, il (faudrait) déclencher la procédure ». Limpide !
Parmi ces 468 votes favorables à la sanction, une dizaine d’eurodéputés français du PPE et les eurodéputés Front de Gauche (GUE) ! Seuls trois eurodéputés des Républicains ont voté contre avec l’ensemble des élus du Rassemblement National : Nadine Morano, Angélique Delahaye et Franck Proust. Ce vote aura donc des conséquences sur la vie politico-politicienne française, révélant les fractures profondes chez Les Républicains. Quel sera le visage des Républicains lors du scrutin de mai 2019, alors qu’ils ne sont même pas capables d’adopter une ligne cohérente sur un vote aussi majeur que celui du mercredi 12 septembre 2019 ? Si Laurent Wauquiez joue les matamores sur la question migratoire, neuf eurodéputés français de sa famille politique (dont cinq actuellement membre de LR, et les trois autres au PPE) ont voté le déclenchement de la procédure de sanction prévue à l’article 7 des Traités de l’Union européenne, sur la base d’un rapport rendu par l’eurodéputée des Verts Judith Sargentini. Cette procédure avait été imaginée en 2000 … après l’arrivée au pouvoir du FPÖ. Principal grief formulé à l’encontre d’Orban ? Ses atteintes supposées aux « libertés individuelles et aux droits des réfugiés ».
Dans un discours extrêmement vif prononcé à Strasbourg mardi 11 décembre, le chef du gouvernement hongrois s’est défendu : «?Vous avez décidé que notre pays ne pouvait pas refuser d’être un pays d’immigration. Nous ne céderons pas au chantage et notre pays défendra ses lois, contre vous s’il le faut ». S’il ne faudrait pas idéaliser la pratique du pouvoir d’Orban, force est de constater que ce dernier dérange énormément depuis qu’il est le chef de file des partisans d’une Europe forteresse en matière migratoire. D’autres avant lui ont nommé des proches à la tête de médias publics. Nous-mêmes, Français, n’avons peut-être d’ailleurs pas de leçons à donner en matière de pluralisme… Refuser la répartition des « migrants » clandestins pour que la Hongrie ne ressemble pas, demain, à certaines zones du territoire belge ou français, ne revient pas à ne pas respecter « l’Etat de droit », mais à se donner la chance de pouvoir le maintenir dans l’avenir lointain. Les Hongrois ont parfaitement le droit de rester seuls maîtres chez eux, de rester souverains.
La Hongrie a d’ailleurs toujours été europhile, plutôt bonne élève de l’Union européenne. En déterrant la hache de guerre pour châtier et humilier excessivement la rebelle magyare, les eurodéputés prennent un gros risque qui pourrait s’avérer peu payant. Pour priver la Hongrie de ses droits de vote au Conseil de l’Union, il faudra que l’unanimité des pays qui le composent consentent à cela. Il est évident que la Pologne, elle-même menacée depuis l’arrivée au pouvoir du PIS, s’y opposera ; de même, peut-être, que d’autres pays d’Europe centrale et de l’est, ainsi qu’un autre membre du groupe dit de Visegrad. La situation est donc très complexe, puisque les partis de la droite européenne se déchirent, les Autrichiens de l’ÖVP et les Allemands du CSU s’étant désolidarisés d’Orban. Dans ce capharnaüm, la voix d’Orban apparaît comme étant la plus claire, lorsqu’il dit défendre « (sa) patrie parce que ces valeurs sont des questions d’honneur pour les Hongrois » et que le rapport bafoue « l’honneur des Hongrois?», ou qu’il fustige les eurodéputés qui prétendent «?mieux savoir que les Hongrois eux-mêmes ce qui est bon pour eux?».
Ces propos sont ceux d’un homme qui, à la tête d’une puissance pourtant moyenne, y compris en Europe, n’a pas renoncé à faire valoir sa souveraineté, la spécificité de son pays et son identité culturelle. Un grand politique n’a nul besoin de centaines de millions d’habitants, d’armes nucléaires ou de géants du net pour résister dans le monde globalisé. Nous l’avons oublié, mais une armée de bergers peut triompher d’une armée moderne équipée de chars, pourvu qu’elle choisisse habilement le champ de bataille et fasse preuve d’une détermination sans faille.
Gabriel Robin (L'Incorrect, 12 septembre 2018)